La Russie, la plus grande superpuissance des échecs, a été effectivement bannie du jeu qu'elle considère comme le sien, aux côtés de son voisin le Belarus.

La FIDE, organisme dirigeant des échecs au niveau mondial, a pris la lourde décision de prendre des mesures à l'encontre des deux pays lors d'une réunion d'urgence de son conseil qui s'est tenue aujourd'hui. Cette décision fait suite au tollé international provoqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Les mesures clés convenues par la FIDE sont les suivantes :

• La Russie et le Belarus sont interdits d'organiser des compétitions et des événements échiquéens officiels de la FIDE.
  
• Les joueurs russes et biélorusses ont l'interdiction d'arborer leur drapeau national lors des compétitions organisées par le FIDE et l'hymne national ne sera pas joué.
  
• La FIDE mettra fin à tous les accords de parrainage avec des entreprises russes ou biélorusses sanctionnées et/ou contrôlées par l'État.

La FIDE a également déclaré qu'elle condamnait "toute déclaration publique d'un membre de la communauté échiquéenne qui soutient une action militaire injustifiée". Elle a déclaré que deux grands maîtres russes, Sergey Karjakin et Sergey Shipov, devront faire face à sa Commission d'éthique et de discipline suite à des commentaires controversés en ligne.

Sergey Karjakin a publié une série de messages controversés en ligne depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. | photo: World Chess

Karjakin, en particulier, a été accusé de jeter le discrédit sur le jeu pour une série de déclarations de plus en plus bizarres faites depuis l'invasion. Karjakin a même jugé bon de bloquer chess24 :

Le joueur de 32 ans, qui se trouve actuellement à Dubaï avec sa famille, a sa place dans le tournoi des candidats qui doit désigner le prochain challenger pour le titre mondial. On ne sait pas encore s'il y prendra part.

La décision de la FIDE intervient également quelques jours avant le début de la prochaine compétition du Grand Prix FIDE à Belgrade, à laquelle participeront cinq grands maîtres russes, Andrey Esipenko (en remplacement de Dmitry Andreikin), Alexander Grischuk, Vladimir Fedoseev, Nikita Vitiugov et Alexandr Predke.

Ces derniers jours ont été tumultueux pour l'organisation dominée par la Russie - comme pour le reste du monde. La FIDE semble divisée sur la question.

La décision d'aujourd'hui aura presque certainement été controversée en interne, étant donné que l'organisation est largement financée par des entreprises russes et des sponsors russes tels que Gazprom et Nornickel.

Le président de la FIDE est également un ancien initié du Kremlin - l'ex vice-premier ministre de Russie et organisateur de la Coupe du monde de football 2018, Arkady Dvokovich.

Cependant, une série de déclarations publiques de responsables de la FIDE exprimant clairement leur malaise face à l'utilisation de la force militaire par la Russie en Ukraine semble avoir forcé la question.

Le grand maître anglais Nigel Short, qui occupe le poste de vice-président, a déclaré ceci :

Short, qui a jusqu'à présent soutenu publiquement les dirigeants, aurait déposé la motion d'interdiction de la Russie. Mais Short n'était pas seul.

Dans un post Facebook mis en ligne alors qu'elle était en délégation en Ouganda avec le président de la FIDE, la directrice générale Dana Reizniece-Ozola a déclaré ceci :

Dans sa mise à jour publiée sur le site web de la FIDE, la fédération a déclaré que le conseil avait également approuvé la déclaration suivante pour accompagner sa décision :

La FIDE exprime sa grave préoccupation concernant l'action militaire lancée par la Russie en Ukraine. La FIDE est unie contre les guerres et condamne toute utilisation de moyens militaires pour résoudre des conflits politiques. La FIDE prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des joueurs d'échecs et des autres membres de la communauté échiquéenne. Aucune compétition et aucun événement échiquéen officiel de la FIDE ne sera organisé en Russie et en Biélorussie.

Il va plus loin que le commentaire soigneusement formulé par la FIDE jeudi, qui a suscité des critiques pour avoir décrit l'agression de la Russie comme une "détérioration rapide de la situation géopolitique". Pourtant, elle n'a pas utilisé l'expression "invasion".

Après le faux pas de jeudi, la FIDE a dû faire face à une pression intense de la part de la communauté échiquéenne mondiale pour priver la Russie des Olympiades d'échecs prestigieuses réunissant 150 nations, qui doivent avoir lieu à Moscou en juillet.

Vendredi matin, son conseil s'est réuni et a cédé. Mais à la suite de l'évolution rapide de la situation et de l'annonce par d'autres organisations sportives de leurs propres sanctions à l'encontre de la Russie, il est apparu que ce n'était pas suffisant.

Malgré cela, il sera choquant que la Russie - que beaucoup considèrent comme le foyer spirituel du jeu et le pays qui compte le plus grand nombre de grands maîtres - puisse être interdite de compétition internationale.

Voici la décision dans son intégralité :

Il est également significatif que la FIDE ait été confrontée à la pression du Comité international Olympique, dont elle est une fédération membre.

La FIDE l'a laissé entendre dans sa mise à jour en disant qu'elle avait pris une décision sur la question des drapeaux nationaux "suite à l'appel du CIO". Le maintien de son adhésion au CIO est essentiel pour toute ambition des échecs de devenir une épreuve olympique.

Les échecs sont extrêmement populaires en Russie et restent une source de fierté nationale, même après l'effondrement de l'Union soviétique. Vladimir Poutine a été un fervent partisan du jeu et de la carrière de Karjakin, qui a défié Magnus Carlsen pour le titre mondial en 2016 et a perdu.

Cependant, la Russie n'a pas remporté d'Olympiade d'échecs depuis Bled, en Slovénie, en 2002, et elle n'a pas eu de champion du monde classique depuis la défaite de Vladimir Kramnik face à Vishy Anand au Mexique il y a 15 ans.

Selon la FIDE, il y a des dizaines de millions de fans d'échecs en Russie, et ce sport est soutenu avec enthousiasme par ses institutions et aussi par son secteur privé.

Le pays accueille souvent des compétitions d'échecs de haut niveau, y compris des compétitions officielles, comme le précédent tournoi des candidats qui s'est déroulé à Ekaterinbourg en pleine pandémie.